Comment Engie a transformé une colline belge en outil de négociation

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S. W. Conçue dans les années 1970 pour absorber les excédents de production nucléaire, la station de transfert d'énergie par pompage de Coo profite de la volatilité du marché pour faire fonctionner des turbines de plus en plus puissantes.

Nichés au milieu des épicéas, à une cinquantaine de kilomètres de la ville de Liège, en Belgique, les vastes lacs de la centrale électrique de Coo - propriété du groupe Electrabel (Engie) - ont récemment empiété de quelques mètres supplémentaires sur la forêt environnante. "Nous avons conservé le plus grand chêne qui chapeautait notre chantier, et nous avons également créé une zone humide d'un hectare où paissent des moutons", souligne Marc Locht, directeur d'exploitation de la centrale.

Pour les non-initiés, l'extension d'un des bassins supérieurs, achevée ces derniers mois, ne saute pas aux yeux, tant elle paraît déjà gigantesque. "En rehaussant le bassin de 2 mètres, nous sommes passés de 4,1 millions de mètres cubes à 5,1 millions de mètres cubes d'eau stockée", explique Marc Locht. Les travaux se poursuivent également un peu plus bas, dans la salle des machines. Dans cette cathédrale de 40 mètres de haut, un rotor flambant neuf de près de 300 tonnes attend d'être installé sur l'une des six turbines de la centrale hydroélectrique pour en augmenter la puissance.

Au total, Engie prévoit d'investir 67 millions d'euros dans cette station de transfert d'énergie par pompage (STEP) pour augmenter sa capacité de stockage et sa puissance de 7,5 % d'ici 2026.

Le jeu en vaut la chandelle : l'installation, mise en service en 1967 dans le but initial d'absorber l'excédent de production nucléaire nocturne et de le restituer le jour, a trouvé une nouvelle opportunité avec l'essor des énergies renouvelables. "Nous sommes de plus en plus sollicités pour compenser les déséquilibres des marchés", explique Marc Locht.

Contrôlés automatiquement depuis Bruxelles, les bassins de la centrale Coo se vident et se remplissent en fonction de la hausse et de la baisse des prix du marché de gros de l'électricité, au fur et à mesure que les centrales éoliennes et solaires intermittentes situées à proximité s'allument et s'éteignent.

Compensation de la variabilité solaire et éolienne

Véritable outil de trading, la centrale a radicalement changé de rythme : alors que ses turbines démarraient environ 2 000 fois par an dans les années 2010, elles démarrent aujourd'hui 15 000 fois par an. "Nous démarrons désormais chaque machine sept à huit fois par jour, alors qu'auparavant c'était seulement le matin et le soir", confirme Marc Locht.

Ce fonctionnement en alternance a réduit la production globale d'électricité de la centrale mais lui permet de capter davantage de valeur sur les marchés de gros de l'électricité, grâce à des démarrages concentrés sur des périodes de volatilité favorable.

Pour les gestionnaires de réseaux électriques européens à la recherche de nouveaux moyens de flexibilité, ces installations "STEP" ont l'avantage de fournir une puissance très importante en un temps record, un atout indéniable lorsque les fluctuations météorologiques peuvent changer radicalement la situation d'une heure à l'autre.

"Lors de la tempête de cet automne, les vents étaient si forts que certains parcs éoliens de la mer du Nord se sont soudainement arrêtés, éliminant instantanément le besoin de 300 mégawatts d'électricité sur le réseau. La centrale Coo a alors pris le relais", explique Sébastien Arbola, directeur général adjoint en charge des activités de flexibilité et de vente au détail d'Engie.

Des investissements d'extension similaires sont prévus par Engie pour ses installations STEP de Dinorwig et Festiniog au Pays de Galles. Toutefois, le groupe n'a actuellement aucun projet d'investissement dans de nouveaux actifs de ce type.

Complexes à construire, à financer et à faire accepter au niveau local, ces centrales présentent parfois une équation économique délicate. "Ces installations sont le Saint-Graal... une fois qu'elles sont construites. Nous avons regardé des projets en Italie et en Australie, mais nous n'avons pas décidé d'y aller, c'est une question de génie civil complexe", confirme Sébastien Arbola.

À cela s'ajoute, en France, un contexte réglementaire incertain, EDF travaillant avec le gouvernement pour changer le statut de ces actifs, exploités jusqu'à présent dans le cadre de concessions. En attendant, Engie mise aussi sur les batteries : il prévoit d'en installer 10 GW dans le monde d'ici 2030, contre à peine 600 MW aujourd'hui.